Cour administrative d'appel de
Nantes
statuant
au contentieux
N° 96NT00776
Publié aux Tables du Recueil Lebon
3e chambre |
M. Chamard, Rapporteur
Mme Coënt-Bochard, Commissaire
du gouvernement
M. Marchand, Président
Lecture
du 2 octobre 1997
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 21 mars 1996, présentée pour M. Bouhalem BOUDERBALA, de nationalité algérienne, détenu au centre de détention Les Vignettes, 27107, Val-de-Reuil, par Me BAUDEU, avocat ;
M. BOUDERBALA demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 95.600-95.601, en date du 28 décem-bre 1995, par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté, comme irrecevables, ses demandes tendant à l'annulation et au sursis à exécution de l'arrêté en date du 7 mars 1995 par lequel le préfet de l'Eure a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné ;
2 ) d'annuler l'arrêté du 7 mars 1995 susvisé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu le décret n 83-1025 du 28 novembre 1983 modifié ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 septembre 1997 :
- le rapport de M. CHAMARD, conseiller,
- et les conclusions de Mme COËNT-BOCHARD, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'arrêté du 7 mars 1995 du préfet de l'Eure, désignant divers pays à destination desquels M. BOUDERBALA pourrait être reconduit, pris pour exécution d'un arrêt du 8 avril 1993 de la Cour d'appel de Chambéry prononçant une interdiction temporaire de territoire de l'intéressé, mentionne notamment l'Algérie, pays dont il a la nationalité ; que cet arrêté, qui constitue une décision administrative distincte de l'arrêt susmentionné, fait grief et peut être déféré au juge de l'excès de pouvoir ; que, par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen, par le jugement attaqué du 28 décembre 1995, a déclaré irrecevable la demande d'annulation de l'arrêté préfectoral dont il était saisi ; que ce jugement doit, dès lors, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. BOUDERBALA devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs : "Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet doivent être motivées les décisions qui : - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ..." et qu'aux termes de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 modifié, concernant les relations entre les administrations et les usagers : "sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, sous réserve des nécessités de l'ordre public et de la conduite des relations internationales, et exception faite du cas où il est statué sur une demande présentée par l'intéressé lui-même, les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ... ne peuvent légalement intervenir qu'après que l'intéressé ait été mis à même de présenter des observations écrites" ;
Considérant que, constituant une mesure de police des étrangers qui doit être motivée en vertu de l'article 1er susvisé de la loi du 11 juillet 1979, la décision contestée se trouvait soumise à l'obligation procédurale préalable mentionnée par l'article 8 précité du décret du 28 novembre 1983 ; que M. BOUDERBALA soutient, sans être contredit, qu'il n'a pas été mis à même de présenter des observations écrites ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle obligation aurait été respectée ; que le ministre de l'intérieur n'invoque aucune circonstance qui aurait pu en dispenser le préfet de l'Eure ; qu'ainsi ladite décision est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière ; qu'il résulte de ce qui précède, dès lors que le préfet ne se trouvait pas en situation de compétence liée quant à la détermination du pays de destination, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens invoqués, que l'arrêté du 7 mars 1995 susvisé doit être annulé ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de
Rouen du 28 décembre 1995 est annulé.
Article 2 :
L'arrêté du préfet de l'Eure du 7 mars 1995 est
annulé.
Article 3 : Le présent arrêt sera
notifié à M. BOUDERBALA et au ministre de l'intérieur.
Titrage : 01-03-01-02-01-01-01,RJ1
ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES
ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCEDURE - QUESTIONS GENERALES -
MOTIVATION - MOTIVATION OBLIGATOIRE - MOTIVATION OBLIGATOIRE EN VERTU
DES ARTICLES 1 ET 2 DE LA LOI DU 11 JUILLET 1979 - DECISION
RESTREIGNANT L'EXERCICE DES LIBERTES PUBLIQUES OU, DE MANIERE
GENERALE, CONSTITUANT UNE MESURE DE POLICE -Mesure de police -
Décision préfectorale fixant le pays de renvoi d'un
étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire
prononcée par le juge judiciaire (1).
01-03-03-01,RJ1
ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES
ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCEDURE - PROCEDURE CONTRADICTOIRE -
OBLIGATOIRE -Décision préfectorale fixant le pays de
renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction du
territoire prononcée par le juge judiciaire
(1).
335-03-01-01,RJ1 ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE -
LEGALITE EXTERNE - PROCEDURE -Décision préfectorale
fixant le pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une
interdiction du territoire prononcée par le juge judiciaire -
Procédure contradictoire obligatoire (1).
335-03-01-02,RJ1
ETRANGERS - RECONDUITE A LA FRONTIERE - LEGALITE EXTERNE - MOTIVATION
-Décision préfectorale fixant le pays de renvoi d'un
étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire
prononcée par le juge judiciaire - Motivation obligatoire
(articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979) (1).
Résumé
: 01-03-01-02-01-01-01, 01-03-03-01, 335-03-01-01,
335-03-01-02 La décision par laquelle le préfet fixe le
pays de renvoi d'un étranger ayant fait l'objet d'une
interdiction du territoire prononcée par le juge judiciaire,
constitue une mesure de police qui doit être motivée et
ne peut intervenir, par voie de conséquence, qu'après
que l'intéressé a été mis à même
de présenter des observations écrites en application de
l'article 8 du décret n° 83-1025 du 28 novembre
1983.
Précédents
jurisprudentiels : 1. Rappr. TA de Châlons-sur-Marne,
1995-05-30, Fouzari, T. p. 834
Textes cités
:
Loi 79-587 1979-07-11 art. 1.
Décret 83-1025
1983-11-28 art. 8, art. 1.
Recours pour excès de pouvoir