Cour de Cassation
Assemblée plénière

Audience publique du 29 mars 1991

Rejet

N° de pourvoi : 89-15231
Publié au bulletin

Premier président : M. Drai
Rapporteur : M. Grégoire
Premier avocat général : M. Dontenwille
Avocats : M. Vincent, la SCP Célice et Blancpain.


REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 23 mars 1989), que X..., handicapé mental, placé au Centre d'aide par le travail de Sornac, a mis le feu à une forêt appartenant aux consorts Blieck ; que ceux-ci ont demandé à l'Association des centres éducatifs du Limousin, qui gère le centre de Sornac, et à son assureur, la réparation de leur préjudice ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné ces derniers à des dommages-intérêts par application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, alors qu'il n'y aurait de responsabilité du fait d'autrui que dans les cas prévus par la loi et que la cour d'appel n'aurait pas constaté à quel titre l'association devrait répondre du fait des personnes qui lui sont confiées ;

Mais attendu que l'arrêt relève que le centre géré par l'association était destiné à recevoir des personnes handicapées mentales encadrées dans un milieu protégé, et que X... était soumis à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée ;

Qu'en l'état de ces constatations, d'où il résulte que l'association avait accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la cour d'appel a décidé, à bon droit, qu'elle devait répondre de celui-ci au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu'elle était tenue de réparer les dommages qu'il avait causés ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

MOYEN ANNEXE

Moyen produit par M. Vincent, avocat aux Conseils, pour l'Association des centres éducatifs du Limousin et pour la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de la Corrèze.

EN CE QUE l'arrêt attaqué déclare l'action bien fondée et condamne in solidum les exposantes à payer la somme de 4 731 624 francs ;

AUX MOTIFS QUE la preuve d'une faute ne peut être mise à la charge de la victime ; que la pratique de la liberté, s'intégrant dans le mode de traitement des handicapés et génératrice d'un risque tant pour les biens que pour les personnes, ne saurait avoir pour conséquence des dommages non réparables ; que l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil énonce le principe d'une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre, ce qui correspond à la situation de l'exposante par rapport à l'auteur des faits dommageables ;

ALORS, D'UNE PART, QU'il n'y a de responsabilité civile du fait d'autrui que dans les cas prévus par la loi ; que, par suite, en retenant le principe d'une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre, la cour d'appel a violé l'article 1384 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en s'abstenant de constater à quel titre l'association exposante, laquelle ne saurait d'ailleurs être assimilée, à raison de la responsabilité des personnes qui lui sont confiées, aux parents, maîtres et commettants visés par le texte susvisé, devrait répondre des dommages causés par une desdites personne, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé.


Publication : Bulletin 1991 A.P. N° 1 p. 1
Semaine juridique, 1991-05-22, n° 21.673, conclusions et note D.-H. DONTENWILLE et J. GHESTIN. Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, juin 1991, n° 2, p. 258, note E. ALFANDARI et M. JEANTIN. Dalloz, 1991-06-13, n° 23, p. 324, note Chr. LARROUMET. Répertoire du notariat Defrénois, 1991-06-30, n° 12, p. 729, note J.-L. AUBERT. Revue trimestrielle de droit civil, septembre 1991, n° 3, p. 541, note P. JOURDAIN. Gazette du Palais, 1992-08-06, n° 219, p. 12, note Fr. CHABAS. Dalloz, 30 octobre 1997, n° 38 p. 327, note G. BLANC.
Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 1989-03-23
Titrages et résumés RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Personnes dont on doit répondre (article 1384, alinéa 1er, du Code civil) - Domaine d'application - Etablissement spécialisé relevant d'une association - Charge d'un handicapé mental - Acceptation à titre permanent

L'association, qui accepte la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie d'un handicapé mental dans un milieu protégé, en le soumettant à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée, doit répondre de celui-ci au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et est tenue de réparer les dommages qu'il a causés.

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Personnes dont on doit répondre - Handicapé mental - Pouvoir de contrôle et d'organisation - Etablissement spécialisé relevant d'une association
ASSOCIATION - Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle - Personnes dont on doit répondre (article 1384, alinéa 1er, du Code civil) - Handicapé mental - Pouvoir de contrôle et d'organisation
ASSOCIATION - Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle - Personnes dont on doit répondre - Charge d'un handicapé mental - Acceptation à titre permanent

Codes cités : Code civil 1384 al. 1


L'arrêt rendu le 29 mars 1991 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation fixe le cadre général de la responsabilité du fait d'autrui crée à partir de l'alinéa 1er de l'article 1384 du Code civil. Cet arrêt pose les règles pour la responsabilité du fait d'autrui.

Cette jurisprudence a connu des applications pour les associations sportives et les associations de chasse. (Par exemple un arrêt du 22 mai 1995[1] pour la responsabilité d'un club de rugby, jurisprudence confirmée pour un club amateur, une association de chasse, ...)



- Avant de rendre son arrêt du 29 mars 1991 l'assemblée plénière se voyait ainsi saisie de la question de savoir si l'article 1384-1 du code civil contient un principe de responsabilité du fait d'autrui indépendamment des cas visés par la alinéas 4 et suivants de ce même article. A cette question et contrairement a ce que la cour de cassation avait pu dire précédemment, l'assemblée plénière n'a pas hésité à répondre par l'affirmative en précisant que, ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de l'handicapé, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que l'association devait répondre de celui ci au titre de l'article 1384-1. - Désormais il est donc admis qu'il puisse y avoir d'autres cas de responsabilité pour fait d'autrui que ceux cités par l'article1384-1 du code civil.

- La cour de cassation dans l'arrêt BLIECK se fonde sur l'idée de pouvoir qu'exerce l'établissement. C'est l'existence de ce pouvoir qui justifie l'obligation de réparation. La charge du risque est la contrepartie du pouvoir. Ceci justifie l'existence de cette responsabilité générale du fait d'autrui.

- L'arrêt BLIECK développe deux principales conditions d'application de ce principe : Tout d'abord il s'agit en ce que le responsable du fait d'autrui doit avoir accepté une obligation. Le pouvoir sur autrui doit résulter d'après l'arrêt d'une obligation acceptée par celui qui l'exerce. Ensuite le pouvoir qui est exercé sur autrui " doit être celui d'organiser et de contrôler le mode de vie " de celui ci.