Synthèse rédigée par Alexis Saurin, janvier 2003
L'arrêt Perruche du 17 novembre 2000 a donné lieu à
un formidable débat qui mena les parlementaires à
légiférer au début 2001. Pour autant, le débat
n'est pas fini, puisque la loi "anti-Perruche" qui a été
rattachée à la loi sur les droits des malades du 4 mars
2002 est elle-même mise en cause actuellement par un certain
nombre d'associations d'handicapés.
Les considérations
qui ont amené à remettre en cause l'arrêt
Perruche sont diverses. Pour les parlementaires au début, il
s'agissait essentiellement d'empêcher l'indemnisation directe
de l'enfant (pour préjudice d'être né handicapé),
tout en permettant l'indemnisation des parents au nom de l'enfant.
Les médecins, quant à eux, défendaient le
fait que la faute de diagnostic du médecin ne peut être
la cause du handicap de l'enfant et souhaitait remettre cette
indemnisation à la charge de la solidarité nationale;
ceux-ci considéraient que la proposition du gouvernement et
des députés ne faisait que réintroduire l'arrêt
Perruche (c'était plus précisément une
confirmation de l'arrêt Quarez du Conseil d'État). C'est
finalement leur version de la loi qui a été retenue,
sur fond de crise du monde médical avec notamment des menaces
de grève des échographies et des accouchements et
l'abandon par de nombreux médecins de l'exercice de
l'échographie prénatale.
À ce jour, les
parents peuvent demander des indemnités correspondant à
leur seul préjudice moral (privation de la possibilité
d'interrompre la grossesse), le reste des allocations provenant de la
"solidarité nationale" qui reste à mettre en
place.
En 1982, Mme Perruche, qui est enceinte, présente,
comme sa fille de quatre ans, des symptômes faisant penser à
une rubéole. Vu la gravité des conséquences
possibles pour le foetus, le médecin fait procéder à
des tests sanguins, mais suite à une erreur du laboratoire,
elle est considérée comme immunisée contre
l'infection. Elle poursuit donc sa grossesse alors qu'elle avait
indiqué à son médecin qu'en cas de résultats
positifs aux tests elle souhaitait procéder à une
interuption médicale de grossesse. Quelques mois après
la naissance, le 13 janvier 1983, Nicolas présente des
symptômes qu'un expert attribue à la rubéole non
détectée: graves troubles neurologiques et visuels,
surdité, et problèmes au coeur.
La famille débute
alors une procédure visant à engager la responsabilité
du médecin et du laboratoire. Le 13 janvier 1992, le tribunal
d'Évry reconnaît qu'une faute a été
commise et ordonne le versement d'indemnités. Dans un arrêt
du 17 décembre 1993, la cour d'appel de Paris confirme
l'existence d'une faute et estime que le préjudice des parents
doit donc être réparé mais conteste le préjudice
pour l'enfant: "Les séquelles dont il est atteint ont
pour seule cause la rubéole qui lui a été
transmise in utero par la mère". Les parents forment un
pourvoi en cassation et, le 16 mars 1996, un arrêt de la Cour
de cassation annule le précédent jugement en ce qui
concerne la décision prise à propos de l'enfant,
estimant que les fautes médicales "sont génératrices
du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère"
et renvoie l'affaire devant la cour d'appel d'Orléans.
Celle-ci, par un arrêt du 5 février 1999 (arrêt
dit de rebellion car contraire à l'arrêt de cassation),
refuse d'indemniser l'enfant, retenant que l'enfant ne subit pas un
préjudice dû aux fautes commises par les professionnels
et indiquant qu'un être humain n'est pas titulaire du droit "de
naître ou de ne pas naître, de vivre ou de ne pas vivre".
Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation, réunie en assemblée
plénière, casse l'arrêt de la cour d'appel et
renvoie l'affaire à la cour d'appel de Paris pour décider
du montant des indemnisations.
sources:
Le "préjudice de vie" d'un enfant handicapé soumis à la Cour de cassation, Acacio Pereira, le Monde, 5-6 novembre 2000
Un handicapé né après une erreur médicale va être indemnisé, le Monde, 19-20 novembre 2000
Naissances coupables?, Danielle Moyse, Esprit, janvier 2001
L'arrêt Perruche a cela de nouveau qu'il affirme le préjudice de l'enfant handicapé et le principe de son indemnisation par le médecin et le laboratoire d'analyse n'ayant pas détecté la maladie de la mère. Contrairement aux jurisprudences précédentes qui indemnisaient les parents mais pas l'enfant handicapé et contrairement aux conclusions de l'avocat général, Jerry Sainte-Rose, la Cour de cassation a donc décidé de la possibilité d'indemniser un enfant handicapé pour le préjudice de son handicap.
Jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation, les parents étaient indemnisés pour le préjudice entraîné par la faute du médecin, mais l'enfant n'était pas indemnisé lui-même. C'est notamment des décisions contradictoires qui ont menées l'affaire jusqu'au débat à la Cour de cassation en assemblée plénière à propos de l'affaire Nicolas Perruche. C'est notamment à ce propos que nous présentons ci-dessous l'arrêt.
Source:
La jurisprudence accorde des réparations aux parents, mais pas à l'enfant handicapé, le Monde, 5-6 novembre 2000
Un arrêt du Conseil d'État du 14 février 1997 présente certaines similitudes avec l'arrêt Perruche. Dans l'affaire Quarez, il s'agit également d'une erreur de diagnostic: la trisomie 21 de Mathieu Quarez n'avait pas été détectée. De même que pour l'affaire Perruche, l'information faussement rassurante avait empeché les parents de recourir à une interruption médicale de grossesse. Dans les deux cas, il y a eu décision d'indemniser les parents pour le préjudice résultant du défaut d'information et de ses conséquences et dans les deux cas, une demande d'indemnisation au nom de l'enfant avait été formulée. Alors que l'arrêt Perruche avait décidé l'indemnisation de l'enfant, l'arrêt Quarez du Conseil d'État avait refusé le dédommagement de l'enfant du fait de sa naissance, la charge de l'entretien de l'enfant étant incluse dans l'indemnisation parentale.
Dans l'affaire Quarez, le Conseil d'État avait été amené à tranché en dernier ressort car il s'agissait d'une erreur du CHR de Nice, dépendant de la juridiction administrative. Le Conseil d'État avait refusé l'indemnisation de l'enfant suivant les conclusions de Valérie Pécresse (alors commissaire du gouvernement au Conseil d'État) qui estimait "nous ne pensons pas qu'un enfant puisse se plaindre d'être né tel qu'il a été conçu par ses parents (...) Affirmer l'inverse serait juger qu'il existe des vies qui ne valent pas la peine d'être vécues et imposer à la mère une sorte d'obligation de recourir, en cas de diagnostic alarmant, à une interruption de grossesse".
Cet arrêt opposé aux conclusions de l'arrêt Perruche a été rendu alors que la première décision de la Cour de cassation sur cette affaire, datant de 1996, avait déjà été rendu, pour autant, les juridictions judiciaires et administratives étant distinctes, il n'y a pas vraiment une contradiction de la jurisprudence.
Sources:
Arrêt Perruche contre arrêt Quarez?, Claude Sureau, le Monde, 13 décembre 2001
Les premiers effets de la loi anti-Perruche, Note de Maire-Christine de Montecler, Le Dalloz 2002
Les conclusions de l'avocat général Jerry Sainte-Rose (qui constituent, avec le rapport du conseiller Pierre Sargos, l'un des deux éléments à partir desquels la Cour de cassation prend sa décision) indiquaient que "le handicap est la conséquence de l'affection pathologie dont l'enfant a été atteint dès le début de la grossesse et les fautes médicales, chronologiquement postérieures à la contamination de l'enfant, n'y ont nullement participé dès lors qu'il n'existait aucune possibilité de traitement".
Ainsi, c'est en grande partie pour des raisons de causalité mal établie que l'avocat général rejette l'indemnisation de l'enfant. Par ailleurs, pour l'avocat général, affirmer que le handicap serait la conséquence directe des fautes commises "puisque sans celles-ci, il n'y aurait pas eu d'infirmité car le foetus aurait été avorté" reviendrait à reconnaître "que la suppression du malade était la seule méthode envisageable pour éviter la maladie". Et c'est au nom du respect de la dignité humaine (article 16 du code civil) qu'il rejette l'idée que la naissance constitue en soi un préjudice: "la mort ou l'inexistence deviennent ainsi une valeur préférable à la vie". Enfin, il estime que la "conséquence prévisible de cette obligation de garantie sera[it] le développement d'un eugénisme de précaution, les praticiens étant incités, devant le plus léger doute, à préconise l'avortement".
Sources:
Le "préjudice de vie" d'un enfant handicapé soumis à la Cour de cassation, Acacio Pereira, le Monde, 5-6 novembre 2000
CONCLUSIONS de Monsieur l'Avocat Général SAINTE-ROSE, arrêt du 17 novembre 2000,
La Cour de cassation ne suit donc pas les conclusions de l'avocat général et casse la décision de la Cour d'appel d'Orléans par cet arrêt: "Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme P... avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;"
C'est plutôt le rapport de Pierre Sargos qu'elle suit, estimant que le préjudice réparable est "exclusivement celui qui résulte du handicap qui va faire peser sur l'enfant pendant toute son existence des souffrances, charges, contraintes, privations et coûts de toute nature" et non pas "la naissance et la vie même de l'enfant".
La cour de cassation indique qu'"il lui est apparu que le respect effectif, et pas seulement théorique, de la personne passait par la reconnaissance de l'enfant handicapé en tant que sujet de droit autonome et que devait être reconnu son droit propre à bénéficier d'une réparation du préjudice résultant de son handicap - et exclusivement de celui-ci - de façon à lui permettre de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine malgré son handicap".
La Cour a ainsi considéré que l'indemnisation des parents seuls est soumise à des aléas (séparation ou décès des parents par exemple), "qui ne permettent pas d'être certain que l'enfant en sera le réel bénéficiaire sa vie durant". "La défense de son intérêt, comme la présentation de la dignité de ses conditions de vie future paraissent mieux assurées par l'attribution d'une indemnisation qui lui soit propre."
Sources:
Un handicapé né après une erreur médicale va être indemnisé, le Monde, 19-20 novembre 2000
Arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2000
L'arrêt Perruche a immédiatement donné lieu à
de multiples interprétations, critiques ou apologies dans la
presse nationale comme dans la presse juridique spécialisée
allant dans de multiples directions. Le "droit à ne pas
naître", l'absence de liens de causalité entre la
faute du médecin et le handicap de l'enfant, la nécessité
d'une indemnisation de l'enfant handicapé pour assurer son
avenir en cas de décès des parents (l'un des défauts
de l'arrêt Quarez), l'influence sur la pratique des médecins
avec l'idée d'une exigence de résultat, l'idée
que certaines vies ne vaudraient pas la peine d'être vécues
ou encore l'idée que l'arrêt imposerait aux mères
concernées une obligation d'interruption "thérapeutique"
de grossesse, pour reprendre un article de Jean-Yves Nau dans le
Monde du 6 novembre 2000.
Tout cela a lancé un vrai
débat à propos de l'arrêt Perruche et des
réactions à cet arrêt de familles, de juristes,
de médecins...
L'une des toutes premières réactions à l'arrêt Perruche est la création d'un "Collectif des parents contre l'handiphobie" regroupant une centaine de familles qui a assigné le 1er décembre 2000 l'État pour "fautes lourdes dans l'exercice du service public de la justice" et réclamant le versement de domages et intérêts car s'estimant victimes d'un préjudice moral. Le collectif déclare: "La haute juridiction a consacré un principe de discrimination entre les personnes handicapées et les personnes en bonne santé. Il ressort de la décision litigieuse qu'il est préférable de mourir que de vivre handicapé", et continue: "cette décision qui érige l'avortement en devoir est parfaitement intolérable à ceux qui consacrent une partie de leur vie à accompagner leurs enfants souffrant d'un handicap".
Cette action, était plus symbolique qu'autre chose, ne pouvant aboutir car infondée en droit.
L'UNAPEI a fait un communiqué de presse le 22 novembre 2000 suite à l'arrêt:
Arrêt dans "l'affaire Perruche". A la suite de l'arrêt rendu par la Cour de Cassation dans " l'affaire Perruche ", l'UNAPEI :
Paris, le 22 novembre 2000. |
Vint ensuite une pétition de juristes protestant contre l'arrêt.
Le 13 décembre 2000, Jean-François Mattéi, président du groupe DL à l'Assemblée Nationale, dépose un amendement pour interdire "l'indemnisation du fait de la naissance", mais la démarche n'aboutit pas.
Le 15 juin 2001, le Comité consultatif national d'éthique rend un avis, comme l'avait demandé l'UNAPEI en novembre 2000, cette fois sur demande d'Élisabeth Guigou (alors ministre de l'emploi et de la solidarité).
Les conclusions du comité, présentées par son président le professeur Didier Sicard, s'articulent autour de deux points: d'une part la responsabilité de la société envers ses enfants handicapés et les problèmes soulevés par la notion d'un préjudice personnel d'être né affecté d'un handicap.
Tout d'abord, le CCNE remarque qu'il n'est pas possible de comprendre le coeur du débat soulevé par l'arrêt Perruche sans aborder le problème de l'insertion des personnes handicapées dans notre société. Il y a en France environ deux millions de personnes souffrant d'un handicap sévère et il reste de graves carences dans la reconnaissance des droits des personnes handicapées.
Pour le Comité d'Éthique, la question centrale du point de vue juridique est bien sûr celle de la causalité entre la faute médicale (erreur de diagnostic) et le handicap qui n'a pas été décelé. "Ce lien de causalité est fort indirect: lorsque les parents indiquent que leur choix, si le diagnostic correct leur avait été communiqué, eût été l'interruption de grossesse, on peut arguer que la naissance de l'enfant handicapé et donc ses souffrances sont le résultat de l'erreur ou du défaut, l'alternative étant l'interruption dite "thérapeutique" de grossesse (...). Indépendamment du préjudice subi par les parents, qui peut légitimement donner droit à réparation, la reconnaissance de la responsabilité des professionels dans un préjudice dont l'enfant serait victime conduit à la déduction qu'il eût mieux valu qu'il ne naquît pas, voire qu'il avait un droit à ne pas naître handicapé, compte tenu de la piètre qualité de la vie qui lui est proposée."
Le Comité indique alors les problèmes posés par l'affirmation d'un droit à ne pas naître handicapé: d'abord, il y a le fait que cela pourrait s'appliquer aux parents qui, informés du diagnostic d'un probable handicap de leur enfant à naître, auraient décidé de laisser se développer le foetus et de l'accueillir avec son handicap. Il y a également la crainte que l'augmentation du nombre d'actions en réparation n'entraîne un réflexe de protection des professionnels et des familles se traduisant par une éventuelle dissuasion de pousuivre la grossesse pour les femmes enceintes pour lesquelles il y aurait un doute.
Finalement, le Comité estime que "la solidarité nationale doit être garantie de telle sorte que la décision de la mère mise au courant du risque de naissance d'un enfant handicapé ne dépende que de son appréciation personnelle de la situation et non pas des difficultés matérielles d'accueil et de soutien qu'elle et son conjoint auraient à affronter sans disposer de l'aide nécessaire."
Sources:
Le Comité d'éthique s'oppose à la reconnaissance d'un "droit" à ne pas naître handicapé, le Monde, 16 juin 2001
l'avis du CCNE:
Après l'arrêt de novembre 2000, la Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprise sa jurisprudence: le 13 juillet 2001, trois arrêts nuancent et précisent la position de la Cour de cassation tandis qu'un arrêt du 28 novembre 2001 la confirme dans le cas d'un enfant atteint d'une trisomie 21: la Cour a accordé le bénéfice d'une indemnisation à Lionel, un enfant âgé de six ans, dont la mère n'avait pas eu la possibilité d'avorter car le médecin n'avait pas transmis les résultats alarmants d'un test et de l'échographie.
Sources:
La Cour de cassation affirme défendre le "respect effectif" de l'enfant handicapé, Cécile Prieur, le Monde, 30 novembre 2001
Arrêt du 28 novembre 2001:
L'un des éléments qui a forcé l'avancé du débat sur l'arrêt Perruche vers la loi de début 2002 est sans aucun doute la situation de quasi-crise qui a eu lieu dans le monde médical à la suite de la décision de la Cour de Cassation.
La colère des obstétriciens a éclaté vers la fin de l'année 2001, avec l'arrivée des montants des primes d'assurances responsabilité civile professionnelle pour 2002: passage de 610 euros à 4421 euros pour des médecins en secteur 1 (conventionnés), de 4420 à 9000 euros (pour des médecins conventionnés à honoraires libres). Certains médecins arrêtent d'exercer, d'autres répercutent la montée des primes d'assurance sur leurs hopnoraires quand ils en ont le droit (ou pas).
Sources:
Après l'arrêt Perruche, des obstétriciens abandonnent leur métier, Sandrine Blanchard, le Monde, 31 janvier 2002
Effacer l'arrêt Perruche ne suffit pas, article signé par des gynécoloques-obstétriciens, le Monde, 25 janvier 2002
Fin janvier 2002, la fédération des médecins de la naissance lance la menace d'un "arrêt total du suivi des grossesses et des accouchements à partir du 1er mars.
Un certain nombre d'obstétriciens cessent d'exercer. De nombreux cabinet de radiologie cesse de faire des échographies pour se concentrer sur des analyses moins risquées.
Cela fait planer la menace de l'abandon de la pratique de l'échographie.
Il y a également le risque que qu'il n'y ait "bientôt plus que des médecins en honoraires libres. Les femmes qui ne pourront pas se les payer iront à l'hôpital. Mais, là-bas, où tout le monde est débordé, qui fera les échographie?" déclare une gynécologue-obstétricienne.
Ces bouleversements: confirmation de la jurisprudence de la Cour de cassation, hausse très élevée des primes d'assurance, menace de grève des médecins, amène les députés à prendre en main l'élaboration d'un projet de loi visant à stopper la jurisprudence Perruche.
Une fois de plus, le 13 décembre 2001 cette fois, J-F Mattéi profite d'une matinée réservée à son groupe parlementaire pour mettre à l'ordre du jour une nouvelle proposition de loi revenant sur la jurisprudence Perruche et instituant que "nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance".
Mais l'étude du texte est repoussé au mois de janvier car le gouvernement a voulu retarder le processus législatif.
Sources:
Arrêt Perruche: le gouvernement joue la montre, Laurence de Charette, Le Figaro, 14 décembre 2001
L'arrêt Perruche échappe aux députés, Didier Hassoux, Libération, 14 décembre 2001
D'un côté, le ministère de la Justice souhaitait faire une loi pour généraliser l'arrêt Perruche (et notamment permettre aux enfants handicapés de poursuivre leurs parents et les médecins), de l'autre, le ministère de la Santé souhaitait une loi anti-Perruche au nom de l'avenir de l'échographie. Lionel Jospin a tranché en faveur du second...
Le texte proposé par le gouvernement est le suivant:
Alinéa 1: Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
Alinéa 2: La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué le handicap, l'a aggravé ou n'a pas permis de prendre les mesures pour l'atténuer.
Alinéa 3: Lorsque le handicap, en raison de la faute, n'a pas été décelé pendant la grossesse, les parents peuvent demander une indemnité destinée à la personne handicapée, correspondant aux charges particulières découlant, tout au long de sa vie, de son handicap, déduction faite du montant des allocations et prestation, de quelque nature qu'elles soient, dont cette personne bénéficie au titre de la solidarité nationale ou de la sécurité sociale. Les organismes sociaux ne peuvent exercer de recours à l'encontre de l'autre de la faute pour obtenir le remboursement des allocations et prestations versées.
Le texte de l'amendement du gouvernement a été présenté le 5 janvier 2002 durant les États généraux des échographistes. Ceux-ci font notamment des critiques au troisième alinéa estime que le texte, en l'état, ne fait que réintroduire l'arrêt Perruche par le biais d'action des parents au nom de l'enfant. En fait, plus précisément, le troisième alinéa reprend l'arrêt Quarez du Conseil d'État présenté plus haut.
Les praticiens proposent à l'issu de leur rencontre une autre version de ce troisième alinéa: "Lorsque le handicap n'a pas été décelé pendant la grossesse en raison d'une faute, les parents peuvent demander à l'auteur de la faute une indemnité correspondant à leur seul préjudice moral. Le préjudice matériel sera couvert par les allocations et prestations de quelque nature que ce soit, versées au titre de la solidarité nationale et de la sécurité sociale. Les orgranismes sociaux ne peuvent exercer de recours à l'encontre de l'auteur de la faute pour obtenir le remboursement des allocations et prestations versées."
De cette manière, les échographistes reviennent du même coup sur la jurisprudence Perruche (CC) et sur la jurisprudence Quarez (CE). Ils réaffirment que les médecins ne peuvent être considérés "comme la cause du handicap lié aux maladies congénitales" et font remarquer que le texte proposé par le gouvernement "veut dire que ceux dont la malformation n'aura pas été diagnostiquée pendant la grossesse seront mieux lotis que les autres".
Sources (pour les trois sections qui précèdent):
États généraux des échographistes et loi "anti-Perruche", Cyrille Charbonneau, Les Petites Affiches 7 janvier 2002
Examen prénatal de la loi "anti-Perruche", Sandrine Cabut, Libération, 7 janvier 2002
Le 10 janvier 2002, la proposition de loi de J-F Mattéi, amendée par le gouvernement et des députés, est finalement adoptée à la quasi-unanimité. Le dernier paragraphe de la proposition du gouvernement a cependant été beaucoup discutée, notamment au motif que cela "ouvra[it] la porte à une nouvelle jurisprudence". Pour le député DL Pascal Clément, le troisième alinéa va créer la distinction entre deux types d'enfants atteints du même handicap: "ceux qui auront eu "la chance" d'une faute médicale" et ceux qui auront eu "la malchance" de n'être victime que "d'une technique médicale pas assez performante pour détecter leur handicap". Bernard Accoyer, RPR, exprime un peu les mêmes craintes d'une distinction entre "les handicapés sur-indemnisés, nés après une faute médicale, et les handicapés nés parce que leurs parents ont choisi de les accueillir, ceux nés avec un handicap non décelable, ou touché par un handicap après la naissance". C'est ainsi que Christine Boutin dit "ce sera une tragédie pour les parents qui choisiront de garder l'enfant. Ils deviendront les nouveaux exclus de la société".
Le 31 janvier 2002, les sénateurs se sont penchés sur le projet de loi. L'un des amendements qu'ils ont formulés est le suivant: "les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice".
Finalement, en commission mixte paritaire, les sénateur ont amendé l'article en limitant l'indemnisation au seul préjudice moral: "Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale", dit le texte.
La loi est finalement adoptée le 19 février et promulguée le 4 mars 2002. Elle est applicable aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation.
Cela signifie entre autres que pour le cas de Nicolas Perruche, dont l'indemnisation n'avait pas encore été décidée, la loi de mars 2002 n'interviendra pas (car la décision de la Cour de cassation réunie en assemblée plénière s'impose à la cour d'appel qui devra simplement déterminer l'indemnité à lui accorder. En revanche, pour les affaires en cours, ainsi que les affaires en appel, la loi s'appliquera.
Sources:
Les députés stoppent la jurisprudence Perruche, Mathieu Castagnet, La Croix, 11 janvier 2002
Ce que dit le texte, Cécile Maillard, France-Soir, 11 janvier 2002
"L'arrêt Perruche sème la confusion au Sénat, Marianne Gomez, La Croix, 1er février 2002
L'Assemblée nationale limite l'indemnisation des parents dans le cadre de l'arrêt Perruche, Paul Benkimoun et Clarisse Fabre, Le Monde, 14 février 2002
La première application de la loi "anti-Perruche" a été faite le 13 juin 2002 par la cour administrative d'appel de Paris. La famille Maurice demandait indemnisation à l'Assistance publique-Hôpitaux (AP-HP) de Paris pour une erreur de diagnostic due à l'interversion des résultats d'analyse pratiquées sur deux patientes, qui avait empêché de détecter l'amyotrophie spinale infantile (maladie neuromusculaire héréditaire). Le 19 décembre 2001, la cour accorde une indemnité provisionnelle de 1 million de francs (152449 euros) rapidement versée à la famille qui achète un véhicule adaptée à la petite. Mais l'affaire est portée en appel par l'AP-HP et la loi "ant-Perruche" est voté entre temps. Le 13 juin 2003, la cour d'appel décide de n'imdemniser que le préjudice moral des parents, fixé à 15245 euros, renvoyant à la solidarité nationale pour le reste de la compensation. L'AP-HP a renoncé à recouvrer la différence.
Suite à cette affaire, sept associations d'handicapés ont demandé dans une lettre ouverte "au président de la République, au premier ministre et à tous les parlementaires" l'abrogation de l'article 1 de la loi du 4 mars. Les signataires de la lettre (dont l'APF, le FNATH, le GIHP et le Reshus) indiquent: "l'article premier interdit désormais, alors même que la faute de diagnostic anténatal ou d'information des parents est prouvée, toute réparation du préjudice de l'enfant, mais surtout réduit l'indemnisation des parents au seul préjudice moral, autant dire à rien", puis "renvoyer à la solidarité nationale dans la loi, comme substitut à cette indemnisation des parents n'est pas acceptable car absolument insuffisante aussi longtemps que le Parlement ne décidera pas de dégager les crédits adéquats, autant dire jamais".
Une pétition sur internet à été lancée contre l'article premier de la loi du 4 mars 2002
L'AFM, pour sa part, a refusé de signer la lettre ouverte: "nous sommes d'accord sur le fond, pas sur la forme. Nous préférons attendre et voir si le ministre de la Santé tiendra ses engagements". Son directeur général Eric Molinié estime en effet que le problème à régler est d'assurer la transition entre la situation juridique précédente et celle créée par le nouveau dispositif. L'AFM a demandé dans un communiqué de presse un moratoire sur l'application de l'article premier de la loi du 4 mars jusqu'à ce que la solidarité nationale soit mise en place. Voici la fin du communiqué:
"Pour l'AFM, le titre 1 er de la loi sur le droit
des malades ne peut être appliqué en l'état. Il
doit impérativement être précédé
d'une série de mesures concrètes visant à mettre
en place un vrai système de compensation du handicap en
France. Dans cette attente et puisqu'il y a acte fautif, l'AFM
considère que c'est à l AP-HP de payer en partie ce qui
ne peut être assuré aujourd'hui par la solidarité
nationale.
Enfin, l'AFM demande la mise en place et la
déclinaison d'un véritable droit à compensation
visant à restaurer l'égalisation des chances des
citoyens handicapés en leur donnant accès à l
ensemble des aides (humaines, techniques, logement) nécessaires
à leur autonomie. Réclamé par l'AFM depuis de
nombreuses années, ce droit serait, aujourd hui, le seul
garant d'une prise en charge adaptée des personnes handicapées
et constitue, à ce titre, le seul moyen d'améliorer
rapidement et significativement la prise en charge du handicap par la
solidarité nationale en France."
De son côté, l'Unapei, la principale association de parents d'enfants handicapés, a, dans un communiqué, rappelé son « attachement » à la loi du 4 mars. « Ce texte a permis de sortir de l'impasse à laquelle avait conduit la jurisprudence Perruche et constitue une avancée », écrit-elle dans un communiqué. Ce soutien ne vaut toutefois pas blanc-seing : il faut moderniser « sans tarder la loi de 1975 », engager un « plan d'urgence pour les personnes gravement handicapées », conclut l'Unapei. Le gouvernement est aujourd'hui rappelé à son devoir d'action.
Sources:
Communiqué de presse de l'AFM du 13 juin 2002
La loi prive les parents d'une fillette handicapée de leur indemnité, Cécile Prieur, Le Monde, 16-17 juin 2002
Les associations exigent l'abrogation de la loi "anti-Perruche", Sandrine Blanchard, Le Monde, 26 juin 2002
Les premiers effets de la loi anti-Perruche, Note de Marie-Christine de Montecler, Le Dalloz 2002
La loi anti-Perruche divise les associations, Marianne Gomez, La Croix 3 juillet 2002
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L’Arrêt Perruche du 17 Novembre 2000
Prolégomènes juridiques
La Procédure
L’arrêt « Perruche » a été rendu le 17 novembre 2000 par la Cour de cassation. Celle-ci constitue le plus haut degré de juridiction du système judiciaire, qui tranche les litiges de caractère civil, ie entre particuliers, par opposition au Conseil d’Etat, autorité suprême des juridictions administratives, qui décide des litiges opposant l’Administration aux usagers.
Après une première instance, chacune des parties, lorsqu’elle estime que ses droits ont été méconnus, peut faire appel de ce premier jugement auprès de la Cour d’Appel, qui prend alors une deuxième décision qui se subsitue au premier jugement.
Mais si l’une des parties est insatisfaite de cette deuxième décision, elle peut exercer un recours auprès de la Cour de Cassation. Le litige n’est alors pas entièrement rejugé. Les faits, tels qu’ils ont été déterminés par la Cour d’Appel, sont considérés comme définitivement établis. En revanche, la Cour de Cassation contrôle l’application qu’ont faite les juges d’appel des règles de droit.
Si ces règles de droit ont été respectées, la Cour de Cassation rejette le pourvoi, et la décision contestée de la Cour d’Appel devient définitive : les parties peuvent s’en prévaloir pour obtenir de l’autre la satisfaction qu’elles recherchaient.
En revanche, si les juges d’appel ont méconnu les règles de droit, la Cour de cassation sanctionne cette décision en l’annulant et en chargeant une autre Cour d’Appel de prendre une décision.
Dans l’espèce qui nous concerne, un premier jugement de Cour d’Appel a été annulé par la Cour de Cassation en 1996. Cette dernière a renvoyé l’affaire devant la Cour d’Appel d’Orléans, qui a pris en 1999, une décision contraire aux recommandations de la Haute Juridiction.
L’affaire a donc été portée à nouveau devant celle-ci, qui a confirmé le 17 novembre 2000, dans le cadre de la formation solennelle qu’est l’Assemblée plénière, la solution qu’elle avait déjà dégagée en 1996. Par cette deuxième décision, elle annule à nouveau celle de la Cour d’Appel et fait obligation à la troisième Cour d’Appel qu’elle désigne de déterminer le montant de l’indemnisation de Nicolas Perruche conformément à ses recommandations.
Les Fondements de la Responsabilité
La jurisprudence considère depuis 1936 qu’entre le médecin et son patient s’établit un contrat. La responsabilité du médecin ne peut donc être engagée que sur un fondement contractuel : c’est seulement lorsque le médecin n’agit pas conformément aux stipulations contractuelles qu’il doit indemniser le patient victime.
Cette responsabilité du médecin ne peut être engagée que lorsque celui-ci a commis une faute dans l’exercice de son art ou ne s’est pas conformé aux données actuelles de la science. On ne peut en effet exiger de lui qu’il soigne systématiquement le patient, en raison du caractère incertain de la médecine. Mais on compare le comportement du médecin à celui d’un médecin imaginaire normalement diligent placé dans une situation identique. S’il n’a pas agi pour le mieux, il est fautif et doit indemniser.
Pour le condamner à indemniser, il faut que soient réunis trois éléments : la faute du médecin, le préjudice subi par le patient et le lien de causalité entre les deux autres éléments, faute et préjudice.
Dans l’espèce qui nous concerne, le préjudice était clairement constitué par le handicap de Nicolas Perruche, la faute du médecin par son incapacité à diagnostiquer la maladie de la mère à l’origine du handicap. Mais où résidait le lien de causalité sachant que l’apparition de la maladie était indépendante de l’intervention du médecin. Les juges ont retenu comme lien de causalité le fait que la matéralisation du préjudice de l’enfant par le fait de sa naissance résultait de la faute du médecin de n’avoir pas annoncé le handicap. Ce qui a provoqué toutes les critiques sur le « préjudice du fait d’être né ».
Le débat juridique
L’arrêt
Un adolescent polyhandicapé, représenté par ses parents, est indemnisé pour un handicap consécutif à une atteinte rubéoleuse anténatale, une faute médicale ayant empêché le diagnostic de la séroconversion de sa mère en début de grossesse alors que celle-ci avait annoncé vouloir recourir à l’interruption volontaire de grossesse en pareil cas.
« Dès lors que les fautes commises par un médecin et un laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec une femme enceinte avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »
Des conséquences juridiques rendant inacceptables l’arrêt ?
Peut-on invalider juridiquement une décision parce qu’elle induit des conséquences incohérentes par rapport à l’édifice juridique ?
Voici deux exemples, qui reposent de toutes façons sur des raisonnements faux.
La possibilité pour les enfants d’attaquer les parents.
L’AP créerait une base juridique pour que des enfants handicapés puissent attaquer leur mère en justice pour ne pas avoir avorter. C’est faux : la liberté de décision de la mère est garantie par la législation sur l’interruption de grossesse. Décision de la mère =/= responsabilité juridique.
Le statut de l’embryon.
L’arrêt ne fait pas droit à la revendication d’un individu à une époque où il était un embryon, et ne donne donc pas un statut juridique à l’embryon. C’est parce qu’il est né et vit handicapé que NP a été indemnisé. Les droits juridiques dont dispose déjà l’embryon sont suspendu à une naissance viable.
Les limites du droit.
Position de O.Caylas, Y.Thomas et D. de Béchillon (« L’arrêt Perruche, le droit et la part de l’arbitraire », Le Monde, 21/12/2000) :
La faute médicale étant reconnue, le problème est celui de la causalité entre la faute médicale et le préjudice subi par l’enfant. La position de la cour : les handicaps dont l’enfant souffre résultent de l’erreur de diagnostic, puisque la mère n’a pu exercer son choix d’interrompre sa grossesse.
L’avocat général niait au contraire le lien de causalité : le handicap n’a pas sa cause dans l’erreur médicale mais dans la rubéole de la mère.
Sur ce point le droit ne disposait jusqu’à cet arrêt d’aucune règle évidente : deux positions cohérentes et légitimes du point de vue juridique. « Prenons acte de ce que les repères philosophiques employés ne sont pas donnés par la science du droit, qui ne saurait dès lors imposer d’elle-même une solution et en interdire une autre […] reconnaissons la part nécessaire d’arbitraire qu’il y a, des deux points de vue, à trancher. » Et ce même si la causalité reconnue par la CC va clairement à l’encontre de la causalité biologique ou médicale, voire même logique. Statut propre de la causalité juridique.
Il est légitime de recourir au parlement pour changer le droit par la voie législative, mais il ne faut pas croire que cela constituerait un retour à un état du droit antérieur. Les arguments prétendument « juridiques » peuvent en effet tous être réfutés :
Du point de vue juridique l’argument « illogique » pour le sens commun de la « préférence de ne pas être » est tout à fait recevable : le cas du suicide atteste que le droit ne fait à quiconque aucune obligation de préférer sa vie : liberté individuelle que l’Etat doit préserver tant que son exercice ne préjudicie pas à autrui.
L’idée qu’une discrimination entre la vie qui « vaut » ou qui ne « vaut pas » d’être vécue est contraire à la dignité des personnes humaines repose sur une notion dont le contenu juridique est très flou.
En conséquence « le juriste ne peut se prévaloir du droit et prétendre que le droit tranche de lui-même, lorsqu’en réalité, il ne peut (et ne fait) qu’opter pour un parti ontologique, logique ou moral, sans détenir plus de titre que quiconque pour se faire. En revanche il lui revient d’aider à forger ensemble des instruments et des techniques pour rendre praticable, en droit, la réponse politique à laquelle il s’est rallié. C’est déjà beaucoup. »