98-14.397
Arrêt n° 211 du 6 septembre 2002
Cour de cassation - Chambre mixte
Rejet

Demandeur à la cassation : M. Stéphane Marchewka
Défendeur à la cassation : Société Maison française de distribution

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Orléans, 9 février 1998), que M. Marchewka a reçu de la société de vente par correspondance Maison française de distribution (la société) deux documents le désignant de façon nominative et répétitive, en gros caractères, comme le gagnant d’une somme de 105 750 francs, puis, peu après, d’un poste de télévision, pourvu qu’il renvoyât à l’expéditeur, dans le premier cas, un bon "de validation", et, dans le second, un bon "de participation" ; que soutenant avoir retourné lesdites pièces mais n’avoir jamais rien reçu, et avoir appris ensuite que son nom n’avait figuré sur le premier document qu’au titre d’un prétirage au sort, il a assigné la société en paiement d’une somme de 30 000 francs pour l’indemnisation du préjudice né de la tromperie destinée à le persuader qu’il avait gagné ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Marchewka fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté, alors, selon le moyen :

1°/ que, désigné gagnant d’un tirage au sort, il ne pouvait être taxé de mauvaise foi pour s’être légitimement entouré de garanties dans le but de préserver son droit de créance ; qu’en considérant que son attitude faisait ressortir qu’il n’avait pu se croire gagnant de telle sorte qu’il n’avait pu souffrir d’aucun préjudice, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ;

2°/ qu’en toute hypothèse, le seul fait de se voir privé d’un gain qui paraissait acquis suffit à établir l’existence d’un préjudice ; que la cour d’appel a au demeurant observé que le préjudice appelant une réparation supposait que M. Marchewka démontre avoir effectivement gagné la somme annoncée ; qu’en considérant à cet égard que la société MFD avait, de manière condamnable, usé de procédés fallacieux en lui laissant entendre qu’il était gagnant et en refusant néanmoins de réparer son préjudice en se fondant sur une circonstance inopérante tenant à la perception que le gagnant avait pu avoir de la promesse de gain, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt, ayant relevé souverainement l’absence de préjudice de M. Marchewka, est, par ce seul motif, légalement justifié, de sorte que le moyen est inopérant ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. Marchewka reproche encore à l’arrêt de l’avoir condamné à un franc de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors, selon le moyen, que tout justiciable est fondé à obtenir en justice le paiement d’une créance dont il a été désigné bénéficiaire, peu important que la promesse de gain lui paraisse sujette à caution ; qu’en considérant qu’il avait commis un abus de procédure en cherchant à tirer profit d’un pseudo-gain qu’il savait ne pas être le sien alors même qu’il avait été désigné gagnant du tirage au sort et qu’il appartenait à la seule société MFD de ne pas s’exposer, par l’usage de procédés fallacieux à une revendication que légitimait le contenu de ses documents publicitaires, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’abus de procédure imputé, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel, ayant relevé que M. Marchewka avait cherché à tirer profit d’un pseudo-gain qu’il savait n’être pas le sien, a pu en déduire que son action était abusive ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

MOYENS ANNEXéS

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. Marchewka

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. Marchewka de sa demande en dommages-intérêts dirigée contre la société MFD,

AUX MOTIFS QUE, pour que l'action intentée par M. Marchewka prospère, encore lui appartient-il de prouver, outre la faute de la société MFD, la réalité du préjudice qu'il entend voir réparer, en l'espèce la créance qui aurait été la sienne d'avoir effectivement gagné la somme annoncée ; que, pour que l'action intentée par M. Marchewka prospère, encore lui appartient-il de prouver, outre la faute de la société MFD, la réalité du préjudice qu'il entend voir réparer, en l'espèce la créance qui aurait été la sienne d'avoir effectivement gagné la somme annoncée ; comme le relève l'appelante, que non seulement la bonne foi de l'intimé est loin d'être démontrée, mais que sa mauvaise foi est certaine ; qu'en effet le document de validation que devait retourner M. Marchewka à la société MFD (pièce n° 2 de celles communiquées en première instance), comporte deux rubriques, l'une indiquant : "Si je suis gagnant du Super Grand Prix de 105 750 francs, veuillez m'en informer et effectuer le versement de cette somme dès la clôture du tirage", l'autre : "Si je suis gagnant des 1 003 autres prix, veuillez me remettre le prix auquel j'ai droit" ; que, sur ce même imprimé, a été portée la mention manuscrite suivante, à hauteur de la seconde branche de l'alternative rapportée ci-dessus : "Je ne suis pas d'accord. J'ai gagné, voir paragraphe ci-dessus et sans réponse de ma part vous ne serez pas autorisé à me payer ! Pensez donc ! D'où je m'empresse de vous expédier mon document. Je n'ai pas l'intention de perdre la somme que j'ai gagnée. Je dis bien gagnée" ; qu'il est acquis aux débats que M. Marchewka fit retour du document de validation le 13 avril 1994 ; qu'en fait, du bordereau de dépôt de lettre recommandée avec accusé de réception, l'intimé ayant choisi ce type d'affranchissement, il ressort que cet envoi eut lieu le lendemain, la date du 13 avril étant celle de la lettre d'accompagnement du document de validation ; que, par cette lettre, plutôt que de faire part de son étonnement ou du plaisir qu'il éprouvait à l'idée de gagner, sans raison, une somme d'un montant supérieur à 100 000 francs, M. Marchewka faisait savoir au directeur de la société MFD que, faute de recevoir cette somme de 105 750 francs, il serait contraint de confier les documents à (son) avocat pour engager des poursuites. Ces dits documents seront confiés à l'avocat à partir du 2 mai, si la somme que j'ai gagnée ne m'a pas été payée" ; que, tant les mentions portées sur le bulletin de validation, de la même écriture que celle de la lettre datée du 13 avril 1994, que le contenu de celle-ci sont la démonstration de l'opinion, qui était celle de Stéphane Marchewka qui, sensible au caractère fort équivoque de l'ensemble des documents que lui avait fait parvenir seulement quelques jours plus tôt la société MFD, avait compris être "victime" d'une publicité plus qu'à la limite de l'honnêteté intellectuelle ; que de ces documents, il ressort que l'intimé n'a pu croire être le gagnant de cette somme de plus de 100 000 francs, en sorte qu'il n'a souffert d'aucun préjudice ;

ALORS QUE, désigné gagnant d'un tirage au sort, M. Marchewka ne pouvait être taxé de mauvaise foi pour s'être légitimement entouré de garanties dans le but de préserver son droit de créance ; qu'en considérant que l'attitude de M. Marchewka faisait ressortir qu'il n'avait pu se croire gagnant de telle sorte qu'il n'avait pu souffrir d'aucun préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

ALORS, en toute hypothèse, QUE le seul fait de se voir privé d'un gain qui paraissait acquis suffisait à établir l'existence d'un préjudice ; que la cour d'appel a au demeurant observé que le préjudice appelant une réparation supposait que M. Marchewka démontre avoir effectivement gagné la somme annoncée ; qu'en considérant à cet égard que la société MFD avait, de manière condamnable, usé de procédés fallacieux en laissant entendre à M. Marchewka qu'il était gagnant et en refusant néanmoins de réparer son préjudice en se fondant sur une circonstance inopérante tenant à la perception que le gagnant avait pu avoir de la promesse de gain, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1382 du Code civil ;

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. Marchewka à payer à la société MFD la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

AUX MOTIFS QU'en agissant comme il le fit, en procédant pour tirer profit d'un pseudo-gain, qu'il savait ne pas être le sien, M. Marchewka a commis un abus de procédure ; que la société MFD, dont il a été relevé que les procédés, évidemment à des fins commerciales, étaient fallacieux, qui a "démarché" M. Marchewka à son domicile par l'envoi de ces documents publicitaires critiquables, ne s'explique pas sur l'importance du préjudice qu'elle entend voir réparer ; qu'aussi, la cour d'appel fixe son indemnisation à la somme symbolique de un franc ;

ALORS QUE tout justiciable est fondé à obtenir en justice le paiement d'une créance dont il a été désigné bénéficiaire, peu important que la promesse de gain lui paraisse sujette à caution ; qu'en considérant que M. Marchewka avait commis un abus de procédure en cherchant à tirer profit d'un pseudo-gain qu'il savait ne pas être le sien alors même qu'il avait été désigné gagnant du tirage au sort et qu'il appartenait à la seule société MFD de ne pas s'exposer, par l'usage de procédés fallacieux, à une revendication que légitimait le contenu de ses documents publicitaires, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'abus de procédure imputé à M. Marchewka, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.


Président : M. Canivet, premier président
Rapporteur : M. Gridel, conseiller, assisté de M. Dufour, greffier en chef
Avocat général : M. de Gouttes, premier avocat général
Avocat(s) : la SCP Piwnica et Molinié



Quasi-contrats - Applications diverses - Loteries publicitaires - organisateur - Annonce personnalisée d'un gain - Mise en évidence d'un aléa - Défaut - Effets - obligation de délivrance

Chambre mixte, 6 septembre 2002 (Bull. n° 4 et n° 5, 2°)


En énonçant d'office, au visa de l'article 1371 du Code civil, "que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer", la Cour (Bull. n° 4) sanctionne une pratique : celle par laquelle certains organismes adressent à des destinataires choisis des lettres annonçant avec conviction des gains qui sont en réalité de simples sélections en vue d'une éventuelle attribution après un tirage au sort à venir.


Depuis une quinzaine d'années, la réclamation du lot à partir du document et du refus de le délivrer ont suscité un contentieux dont les première et deuxième chambres de la Cour ont eu à connaître. Retenant la volonté des parties, telle que suffisamment et souverainement recherchée par les juges du fond, les arrêts ont rejeté divers pourvois, laissant prospérer plusieurs solutions et analyses théoriques. Tantôt, la remise ordonnée de l'objet, son offre obligeant l'auteur à le délivrer, par l'effet de l'acceptation intervenue du fait de sa réclamation (Civ1 12 juin 2001, Bull. n° 174; Civ2 11 février 1998, Bull. n° 55), voire de l'engagement unilatéral de volonté (Civ1 28 mars 1995, Bull. n° 150) ; tantôt une indemnisation, due au titre de la création délictuellement fautive d'une déception (cf. notamment Civ. 2ème, 3 mars 1988, Bull. n° 57 ; 28 juin 1995 n° 225.Civ. 1ère, 19 octobre 1999, Bull. n° 289), réserve étant faite toutefois de la présentation initiale de l'opération en un jeu qui ne pouvait en réalité tromper personne (Civ. 1ère, 11 mars 1997, pourvoi. n° 97-00.471).


Dans l'arrêt rapporté, la Chambre mixte propose un troisième fondement, celui du quasi-contrat, que les articles 1370 et 1371 du Code civil présentent comme un fait juridique dont l'effet obligatoire résulte tout entier de son seul caractère volontaire. Les termes de la décision montrent néanmoins que l'application du quasi-contrat à l'annonce d'un pseudo-gain, pour faire ainsi devoir à son organisateur de s'acquitter du tout suppose néanmoins, d'une part que la réalité d'une simple sélection en vue d'un tirage au sort ait été masquée, et, d'autre part, que la demande en justice du destinataire porte sur le bien ou la somme d'argent dans sa totalité. A la lecture d'un autre arrêt, rendu le même jour par la même formation de la Cour (Bull. n° 5), il faut ajouter l'absence d'intention du réclamant, telle que constatée au fond, de tirer profit d'un pseudo-gain qu'il savait ne pas être le sien.