Cass. ch. conseil 27 juillet 1937
Metenier c/ Epx Luce
Cassation partielle
(Paris, 9 novembre 1932)

La jurisprudence issue de l'arrêt Métenier a agité les professeurs de droit pendant de nombreuses années. Était-il concevable d'accorder à un concubin le droit d'engager la responsabilité d'un tiers ayant causé le décès de son compagnon pour le dommage subi par ricochet ? La réponse était assurément négative dans une société fondée tout entière sur l'institution du mariage et méprisant ouvertement l'union libre.

La Cour de cassation, pour refuser au concubin toute possibilité d'indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ajouta donc, par l'arrêt présenté, la condition que le demandeur justifie non seulement du dommage subi, mais aussi de la lésion d'un intérêt légitime juridiquement protégé.

Solution obsolète
Cette restriction du champ de la responsabilité délictuelle perdura quelques décennies, avant de s'effondrer avec l'arrêt Dangereux rendu le 27 février 1970.

LA COUR

Sur le premier moyen pris dans sa première branche :

Vu l'article 1382 C. civ. ;

Attendu que le demandeur d'une indemnité délictuelle ou quasi-délictuelle doit justifier, non d'un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d'un intérêt légitime, juridiquement protégé ;

Attendu que, le sieur Sailly ayant été renversé et tué par un taxi-automobile que conduisait François Metenier, le tribunal de commerce de la Seine accorda deux indemnités, l'une de 15 000 F à la demoiselle Roussin, avec laquelle la victime vivait maritalement, l'autre de 10 000 F aux époux Luce, dont la femme était la fille naturelle reconnue de Sailly et de sa concubine, ces deux indemnités étant mises à la charge de Metenier père, civilement responsable, en tant que commettant, du dommage causé par son fils ; que, sur appel principal formé par Metenier père et sur appel incident des époux Luce, reprenant l'instance engagée par leur mère et belle-mère, décédée dans l'intervalle, la cour de Paris (arrêt 9 novembre 1932), confirmant la décision des premiers juges en ce qui concerne tant la responsabilité de Metenier que l'indemnité allouée aux époux Luce, mais la réformant pour le surplus, condamna Metenier père à payer : 1°, la somme de 10 000 F aux époux Luce, pour réparation du dommage moral à eux causé personnellement par la mort de leur père et beau-père naturel ainsi que pour remboursement de frais funéraires ; 2°, la somme de 20 000 F aux mêmes époux Luce la dame Luce étant prise ici en qualité d'héritière de sa mère naturelle, la demoiselle Roussin, et cela en réparation du préjudice matériel causé à celle-ci par la mort de Sailly ; que cette décision est fondée, d'abord sur la durée et la continuité des relations des concubins, puis sur l'existence d'une fille naturelle, par eux reconnue, élevée et entretenue à frais commun jusqu'à l'époque de son mariage, enfin sur la contribution apportée par Sailly aux besoins de la vie commune, auxquels il affectait la majeure partie de ses salaires ;

Attendu que le pourvoi, se référant uniquement à la seconde de ces condamnations, reproche à l'arrêt attaqué d'avoir alloué une indemnité à la demoiselle Roussin à raison de l'accident causé à son concubin, le sieur Sailly, alors qu'il n'existait entre eux aucun lien de droit, de parenté ou d'alliance, et que les relations qui les unissaient avaient un caractère immoral, et d'avoir ainsi violé les articles 1382 et 1384 C. civ., et 7 de la loi du 20 avr. 1810 ;

Attendu que le concubinage demeure, en toute occurrence, quelles que soient ses modalités et sa durée, une situation de fait qui ne saurait être génératrice de droits au profit des concubins et vis-à-vis des tiers ;

Attendu en effet, que les relations établies par le concubinage ne peuvent, à raison de leur irrégularité même, présenter la valeur d'intérêts légitimes, juridiquement protégés ; que, susceptibles de créer des obligations à la charge des concubins, elles sont impuissantes à leur conférer des droits à l'encontre d'autrui, et notamment contre l'auteur responsable de l'accident survenu à l'un d'eux ;

que spécialement, la créance d'aliments de la concubine, qui, du vivant du concubin, n'était que naturelle, ne saurait servir de base au jour de l'accident et du décès, à une créance civile s'affirmant par l'exercice, contre l'auteur du dommage, d'une action en responsabilité; d'où il suit qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner ni la seconde branche du premier moyen, ni le deuxième moyen casse..., mais seulement en ce qui concerne l'indemnité de 20 000 F allouée aux époux Luce, du chef de la demoiselle Roussin, la dame Luce étant prise en qualité d'héritière de sa mère...

biblio

D.P. 1938, 1, 5, note R. SAVATIER
S. 1938, 1, 321, note MARTY
Gaz. Pal. 1937, 2, 376