Cass. ch. mixte 27 février 1970
Veuve Gaudras c/ Dangereux
Cassation (Paris, 16 octobre 1967)

L'arrêt Dangereux est certainement l'une des plus belles réussites de la Cour de cassation. Rédaction concise, principe clairement affirmé, texte visé : tout révèle l'arrêt essentiel. Et le moins que l'on puisse affirmer, c'est que l'arrêt en question fit grand bruit.

Depuis un arrêt de 1937 (arrêt Metenier), la Cour de cassation affirmait qu'un concubin ne pouvait engager la responsabilité du tiers ayant causé le décès ou des dommages à son compagnon,  pour obtenir réparation du préjudice subi par ricochet. La chambre criminelle avait cependant progressivement abandonné cette position, pour reconnaître au concubin le droit de se porter partie civile en cas d'infraction. L'opposition entre les chambres civiles et la chambre criminelle prit fin avec la décision suivante.

Désormais la Cour de cassation ne se préoccupe plus de l'existence d'un lien de droit entre la victime directe et la victime par ricochet. Seule importe la faute commise et le préjudice subi. En l'espèce, la Cour laissait cependant planer un doute à propos de la réparation du préjudice en cas de concubinage illicite. Le voile sera entièrement levé par l'arrêt Bérigaud du 19 juin 1975, qui précède la dépénalisation de l'adultère.



LA COUR

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que ce texte, ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de le réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation ;

Attendu que l'arrêt attaqué, statuant sur la demande de la dame Gaudras en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin Paillette, tué dans un accident de la circulation dont Dangereux avait été jugé responsable, a infirmé le jugement de première instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame Gaudras de son action au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers ;

Qu'en subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 à une condition qu'il ne contient pas, la Cour d'appel a violé le texte susvisé

Par ces motifs, casse et annule...

Biblio :

D. 1970, jur., p. 201, note COMBALDIEU
JCP 1970, II, 16305, conclusions LINDON, note P.PHARLANGE
RTD civ. 1970, p. 353, obs. G. DURRY

N. GOMAA, La réparation du dommage et l'exigence d'un intérêt légitime juridiquement protégé, D. 1970, chron., p. 145
J. VIDAL, L'arrêt de la Chambre mixte du 27 février 1970, Le droit à réparation de la concubine et le concept de dommage réparable, JCP 1971, I, 2390
CHABAS, Le coeur de la Cour de cassation, D. 1973, chron., p. 211
M. POULNAIS, Réflexions sur l'état du droit positif en matière de concubinage, JCP 1973, I, 2574