27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge - Rec. Lebon p. 372

Analyse

Par l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge , le Conseil d’État a considéré que le respect de la dignité de la personne humaine devait être regardé comme une composante de l’ordre public.

Le maire de la commune de Morsang-sur-Orge avait interdit des spectacles de "lancer de nains" qui devaient se dérouler dans des discothèques de cette ville. Il s’était fondé pour ce faire non sur les pouvoirs de police spéciale qu’il tenait de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, mais sur les pouvoirs de police générale que lui confiaient les dispositions de l’article L. 131-2 du code des communes.

Ces dispositions sont généralement entendues, lorsqu’elles sont appliquées à des spectacles, comme visant à garantir la sécurité du public ou à prévenir d’éventuels troubles matériels à l’ordre public. Toutefois, en l’espèce, le maire avait interdit ces spectacles non pour des considérations de cette nature mais en estimant qu’ils portaient atteinte au respect de la dignité de la personne humaine.

Dans l’exercice de leurs pouvoirs de police municipale, il incombe aux maires de prendre les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public, qui se décline traditionnellement autour des notions de sécurité, de tranquillité et de salubrité publique. La jurisprudence avait cependant déjà admis que la notion d’ordre public puisse s’étendre au-delà de cette trilogie traditionnelle, pour prendre en considération, dans certaines circonstances, des aspects de moralité publique. En témoignent les décisions relatives à le fermeture de lieux de débauche ou de prostitution (17 décembre 1909,Chambre syndicale de la corporation des marchands de vins et liquoristes de Paris, p. 990 ; 11 décembre 1946, Dames Hubert et Crépelle, p. 300), à la réglementation de la tenue des baigneurs sur les plages (Section 30 mai 1930, Beaugé, p. 582), au caractère décent des inscriptions portées sur les monuments funéraires (Ass. 4 février 1949, Dame Veuve Moulis, p. 52), à la vérification de la conformité aux bonnes moeurs de la dénomination des voies communales (19 juin 1974, Sieur Broutin , p. 346) ou encore au caractère immoral de films justifiant l’interdiction de leur diffusion en raison des circonstances locales (Section 18 décembre 1959, Société "Les Films Lutetia", p. 693).

Par sa décision du 27 octobre 1995, le Conseil d’État a, pour la première fois, explicitement reconnu que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public. La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement ou de dégradation avait déjà été élevée au rang de principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (Décision n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, p. 100). Elle était aussi visée par les stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, qui interdit les "peines ou traitements inhumains ou dégradants". Le Conseil d’État a donc jugé que le respect de la personne humaine était une composante de l’ordre public et que l’autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui y portait atteinte.

Jugeant le cas d’espèce, l’Assemblée du contentieux a considéré que l’attraction de "lancer de nains", consistant à faire lancer un nain par des spectateurs, conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et présentée comme telle. Une attraction de ce type a été regardée comme portant atteinte, par son objet même, à la dignité de la personne humaine. Son interdiction était donc légale, même en l’absence de circonstances locales particulières.

En reconnaissant aux autorités de police municipale le pouvoir d’interdire des spectacles susceptibles de troubler les consciences parce qu’ils portent atteinte à la dignité de la personne humaine, le Conseil d’État a montré que l’ordre public ne pouvait se définir comme purement "matériel et extérieur" mais recouvrait une conception de l’homme, que les pouvoirs publics doivent faire respecter. Il n’a toutefois pas consacré la moralité publique comme une composante de la notion d’ordre public, se gardant ainsi d’interpréter trop largement les pouvoirs de police de l’autorité administrative.