T.C., 15 janvier 1968, Cie Air France c/ Epoux Barbier

(RDP 1968, p. 893)

Le Tribunal des conflits,

Vu, enregistrée au Secrétariat du Tribunal des conflits le 21 juillet 1967 une expédition de l'arrêt en date du 7 juin 1967 par lequel la Cour de cassation, Chambre sociale, saisie du pourvoi formé par la Compagnie nationale Air France, dont le siège est à Paris, 2, rue Marbeuf, en cassation d'un arrêt rendu le 30 avril 1963 par la Cour d'appel de Paris au profit des époux Barbier, demeurant à la Laiterie par Moisenay (Seine-et-Marne), défendeurs à la cassation, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider si les Tribunaux de l'ordre judiciaire sont compétents pour apprécier la légalité du règlement par lequel la Compagnie nationale Air France a, le 20 avril 1959, fixé les conditions de travail du personnel navigant commercial, et notamment a prévu, à l'article 72 de ce règlement, que le mariage des hôtesses de l'air entraînait, de la part des intéressées, cessation de leurs fonctions ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus le 4 octobre 1967, les observations présentées pour les époux Barbier et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal des conflits constater que le règlement susmentionné était inapplicable à la dame Domergue, épouse Barbier, et que dès lors, aucune difficulté sérieuse n'existait en la cause mettant en jeu la séparation des autorités administratives et judiciaires lors de la conclusion du contrat de travail liant la dame Barbier à la Compagnie Air France, et justifiant un renvoi, de la part des tribunaux judiciaires, au Tribunal des conflits dans les conditions prévues par l'article 35 du décret du 26 octobre 1849, modifié ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus le 11 octobre 1967, les observations présentées pour la Compagnie nationale Air France tendant à ce qu'il plaise au Tribunal des conflits déclarer les juridictions administratives compétentes pour apprécier la legalité de la clause du règlement concernant le célibat des hôtesses de l'air aux motifs que ladite clause touche à l'organisation du service public concédé ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus le 3 novembre 1967, les observations présentées par le Ministre des Transports ......................................................................

tendant à ce qu'il plaise au Tribunal des conflits déclarer les tribunaux de l'ordre judiciaire compétents pour apprécier la légalité de la clause susmentionnée aux motifs que le règlement Iitigieux est l'œuvre exclusive de la Compagnie Air France, société de droit privé, et que ce texte ne touche aucunement à l'organisation d'un service public ;

Vu Ies autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu le décret du 26 octobre 1849, modifié et complété par le décret du 25 juillet 1960 ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le Code de l'aviation civile et commerciale, résultant de la codification opérée par le décret n° 55-1590 du 3o novembre 1955 ;

Vu le Code du travail ;

Ouï M. Pluyette, Membre du Tribunal, en son rapport ;

Ouï Me Labbé, Avocat de la Compagnie Air France, Me Landousy, Avocat des époux Barbier et Me de Chaisemartin, Avocat du Ministre des Transports, en leurs observations ;

Ouï M. Kahn, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, Commissaire du Gouvernement, en ses conclusions ;

*1* Considérant que si la Compagnie nationale Air France, chargée de l’exploitation de transports aériens, est une société anonyme c’est à dire une personne morale de droit privé, et si, par suite, il n’appartient qu’aux Tribunaux de l’ordre judiciaire de se prononcer au fond sur les litiges individuels concernant les agents non fonctionnaires de cet établissement, les juridictions administratives demeurent, en revanche, compétentes pour apprécier, par voie de question préjudicielle, la légalité des règlements émanant du Conseil d’administration qui, touchant à l’organisation du service public, présentent un caractère administratif ; qu’aux termes du décret n° 50-835 du 1er juin 1950 et de l’article 143 du Code de l’aviation civile et commerciale alors en vigueur, le personnel de la Compagnie Air France est soumis à un statut réglementaire, arrêté par le Conseil d’administration et approuvé par le Ministre chargé de l’aviation civile et commerciale et par le Ministre des Finances et des Affaires économiques ; que dès lors, en application de ces dispositions, combinées avec celles de l’article 31-0 du Livre 1er du Code du Travail, les conditions de travail de ce personnel ne sont pas fixées par voie de convention collective ;

*2* Considérant que le règlement, établi le 20 avril 1959, dans le cadre des prescriptions ci-dessus analysées, par la Compagnie nationale Air France pour fixer les conditions de travail du personnel navigant commercial, comporte, notamment en article 72 - lequel dispose que le mariage des hôtesses de l’air entraîne, de la part des intéressées, la cessation de leurs fonctions - des dispositions qui apparaissent comme des éléments de l’organisation du service public exploité ; que ces dispositions confèrent audit acte dans son intégralité un caractère administratif et rendent compétentes les juridictions administratives pour apprécier sa légalité ;

Décide :

*3* Article premier. - Il est déclaré que les juridictions administratives sont compétentes pour apprécier la légalité des dispositions du règlement, en date du 20 avril 1959, par lequel la Compagnie nationale Air France a fixé les conditions de travail du personnel navigant commercial.

*4* Article 2. - Les dépens exposés devant le Tribunal des conflits sont réservés pour qu’il y soit statué en fin d’instance.

*5* Article 3. - Expédition de la présente décision sera transmise au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, qui est chargé d’en assurer l’exécution.